Thursday, March 23, 2017

Mao Dun Minuit,子夜,(1933)



     Mao Dun (Shen Dehong) occupe une place importante dans la littérature chinoise des années 1930. Entre 1921 et 1932 Mao Dun était un des éditeurs de la revue littéraire Xiaoshuo yuebao qui devait faire émerger une nouvelle littérature chinoise grâce à une révolution des pratiques. Avide lecteur et traducteur d’œuvres occidentales telles que celles de Zola, les critiques l’ont placé dans la filiation des grands romanciers européens, réalistes et naturalistes, du XIXème siècle. Il a créé dans ses romans des cadres urbains pour ses personnages, comme c’est le cas pour Minuit qui se déroule dans le Shanghai des années 1930. Minuit est un roman qui accorde une large place aux questionnements de nature politique, il fait s’interroger le lecteur sur la place de l’argent, le capitalisme et l’impérialisme qui règnent dans la ville ainsi que le pouvoir de séduction néfaste de celle-ci, peinte comme un lieu de décadence et de corruption morale. Un extrait du début du roman l’illustre tour à fait. 

     Le roman s’ouvre sur l’entrée d’un personnage, le vieux Wou, homme appartenant à un autre monde, plus rural et conservateur, loin du Shanghai moderne. Le lecteur entre dans le roman par le biais de cet intermédiaire qui, lui aussi, découvre un monde nouveau. Cependant, cette compagnie sera de courte durée, l’entrée du vieux Wou étant pour lui le début de sa fin, il meurt à peine arrivé et laisse le lecteur égaré. Ce parcours introductif est l’occasion d’appréhender le Shanghai mis en scène par Mao Dun, son urbanité bien présente et tournant autour d’éléments récurants et similaires. Durant le trajet en voiture, le vieux Wu fait une expérience avant tout sensorielle. Il est submergé par des lumières, des odeurs, des sons, des mouvements...
La ville est pour lui une stimulation permanente comme l’indique le narrateur : « Devant ses yeux dansaient du rouge, du jaune, du vert, du noir, du brillant, des carrées, des cylindres, tout s’entremêlait, tout sautait, tout tournait. Dans ses oreilles c’étaient des bruits extraordinaires d’une telle violence que son cœur sautait au point de lui sortir de la gorge. » (p 9). La vitesse, liée aux automobiles est souvent mentionnée, ainsi la voiture est « une machine moderne perfectionnée qui roule à toute vitesse » (p 6) puis carrément une « machine diabolique » (p8) qui ne fait que gagner encore de la vitesse durant le voyage jusqu’à la maison : « L’auto se lançait en avant comme une furie » (p 8), « l’auto filait toujours comme un bolide » (p 11). C’est donc la voiture qui est le premier mode de transport qui nous fait découvrir la ville. La vision obtenue y gagne encore en intensité. A travers la vitre, le paysage urbain subit des déformations métaphoriques révélatrices de l’esprit d’un vieil homme méfiant : les fenêtres des gratte-ciels sont les yeux des « démons », tout comme les phares des voitures et les réverbères se changent en des « gourdins » agressifs. Les rues ne sont presque plus fréquentées par des hommes, les gens courent tout d’abord « éperdus, comme s’ils avaient le diable à leurs trousses » (p 9) puis se déshumanisent pour que Shanghai devienne un véritable « gouffre de diables » (p 13). 

     Mais quel est ce Shanghai ? De quels lieux est-il question ? Wou Souen-fou, le fils, industriel Shanghaien, ainsi que sa sœur et son mari sont dans deux voitures de la marque Citroën. Ils ramènent le vieux Wou à Shanghai pour éviter les violences dans leur région d’origine. L’itinéraire qu’ils empruntent commence sur le quai de la rivière “Soutcheou” (p 1), ils traversent ensuite le pont Waipaitou et tournent vers le sud. Ils arrivent au croisement de l’avenue de Nankin et de l’avenue de Honan (p 9), puis ils tournent enfin à gauche, pour rentrer dans une « avenue silencieuse bordée d’arbres » (p 12) et s’arrêtent devant une « maison de trois étages, large de cinq pièces ». C’est là que se déroule l’essentiel de l’action, des discussions entre les personnages. La localisation est assez précise, ce n’est pas toujours le cas. Le roman se déroule pour l’essentiel dans le Shanghai « moderne », celui de la concession internationale, de la Chambre de commerce, de la bourse très souvent évoquée et illustrant la frénésie et la fièvre de toute la ville, c’est le Shanghai des banquiers (Yuanta), des agences de crédits (Yitchang)… Les autres références, celles du monde industriel des usines (soie, allumettes…) sont plus floues et donc plus idéologiques que géographiques. Dans ce milieu très aisé des riches entrepreneurs chinois, qui nous est donné à voir, l’argent coule à flot, il alimente une réelle fièvre spéculative, fièvre qui s’accompagne et se mélange au désir et à la séduction dont les champs lexicaux traversent tout le roman et irriguent le rapport des personnages à leur environnement. De cette passion Wou Souen-fou fini ruiné.

(La pagination et la transcription des noms propres sont celles des éditions en langues étrangères, Pékin, 1962.)

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